Le Figaro, janvier 2015

FIGAROVOX/ANALYSE- Si les marches contre le terrorisme de ces derniers jours ont rassemblé un nombre spectaculaire de personnes, certains ont -eux- affiché leur soutien aux meurtriers. Tarik Yildiz analyse les causes profondes de cette radicalisation d'une partie de la jeunesse.

Tarik Yildiz est président de l'Institut de Recherche sur les Pays Arabo-Musulmans (IRPAM). Il est notamment l'auteur de «Le racisme anti-blanc: Ne pas en parler: un déni de réalité» (Les Editions du Puits de roulle).

La France a été touchée en son cœur. Des vies perdues, des personnes assassinées pour ce qu'elles représentaient et un pays tout entier ému par ce que nous avions un peu oublié en France, une violence terrible de mouvements radicaux se revendiquant de l'islam sunnite touchant bon nombre de pays depuis des années: la Syrie, l'Irak, la Russie, les États-Unis, des pays européens, africains…

Presque toute la France semble s'être rassemblée face à cette épreuve. Presque, car une partie de la population a manifesté son soutien aux assassins. Réalité terrible mais que notre société doit affronter: certains jeunes collégiens ou lycéens ont refusé le recueillement, d'autres ont posté des messages de soutien sur les réseaux sociaux en affirmant qu'il s'agit d'un juste retour de bâton… Au niveau international également, certaines réactions vont dans le même sens, comme le montre la photo ci-dessous d'un panneau dans une ville turque: «Salutations aux frères Kouachi qui ont vengé le prophète. Que Dieu agréé votre acte. Lorsque vous frappez, c'est la démocratie, lorsque nous nous vengeons, c'est du terrorisme». Ce panneau a été retiré rapidement suite aux nombreuses réactions indignées.

Ces réactions nous poussent à nous interroger sur les causes profondes permettant le développement de cette violence. Tout d'abord, des facteurs liés à la situation internationale sont autant d'éléments favorisant l'accélération du phénomène: la multiplication de certains conflits régionaux, le chaos irakien, la guerre en Libye, le financement provenant de certains pays du Golfe, le laxisme de certains pays avec les mouvements djihadistes, parfois alliés de circonstances contre des ennemis communs (cf. conflit syrien)…

D'autre part, des causes davantage liées à notre société sont à évoquer: une certaine mollesse française a créé ce fameux vide dont la nature a horreur. La dimension radicale du discours religieux séduit des jeunes en manque de repères et d'autorité, désireux, consciemment ou inconsciemment, de tester les limites de la société. Le profil des assassins est représentatif des djihadistes et de leurs soutiens: Français, nés en France, ces jeunes sont généralement des hommes issus des quartiers populaires en périphérie des grandes agglomérations.

Enfants des banlieues, ils ont parfois connu la petite délinquance: vols, agressions, petits trafics… Certains d'entre eux ont séjourné en prison après la réitération de nombreux délits. D'autres n'ont jamais été inquiétés par la justice, mais tous ont généralement un point commun: leur pratique religieuse a fortement évolué en l'espace de quelques mois.

Superficiellement religieux pendant leur adolescence et leur éventuel parcours délinquant, ces jeunes se sont radicalisés et ont adopté une autre vision de l'islam sunnite, dite «littéraliste». Ils abandonnent la petite délinquance pour se consacrer à cette «nouvelle» religion apprise en prison, au sein du quartier, ou même sur certains sites internet spécialisés, appelant à la guerre sainte contre le «mal»: l'Occident décadent, les chrétiens, les juifs, les courants minoritaires au sein de l'islam comme le chiisme…

Après le temps, nécessaire et utile, du recueillement, viendra celui de mener une réflexion sur la manière de contrer les causes profondes permettant le développement de ce fondamentalisme. La révision de la position de la France sur la scène internationale pour défendre ses intérêts en toute indépendance, en contrant les soutiens de certaines organisations paraît aussi indispensable que le renforcement de l'autorité étatique pour apporter des réponses fortes (policière, judiciaire mais également éducative) à une certaine jeunesse, en proie à la petite délinquance et en quête de limites.

Tarik Yildiz