Mon article sur la primo-délinquance publié dans le Huffington Post en mars 2012

http://www.huffingtonpost.fr/tarik-yildiz/affaire-merah_b_1379505.html

Peu abordée ces dernières semaines, la question du suivi de la petite délinquance s'invite de manière dramatique dans la campagne électorale. Les assassinats dans les villes de Montauban et Toulouse ont réveillé un sentiment d'union nationale : les meurtres de 7 personnes, soldats et enfants, ont changé le ton général des débats. Chaque candidat à l'élection présidentielle a veillé à demeurer à la hauteur de l'évènement en évitant d'attiser les polémiques. Les futilités de la campagne se sont, pendant un temps, faîtes plus discrètes : il s'agit d'un évènement grave, qui touche non seulement la sensibilité de chacun mais aussi la conception du "vivre ensemble".

Les condamnations unanimes des responsables religieux et leur volonté affichée de rassemblement démontrent, s'il en était besoin, qu'il ne s'agit pas d'un affrontement à caractère religieux. Ce sont des meurtres qui ont visé des Français de toutes confessions. Ces actes sont l'œuvre d'un individu, semble-t-il relativement isolé et inconstant, se revendiquant de l'islam tout en ayant suivi un parcours alternant petite délinquance et religiosité superficielle.

Français né en France

Isolé, Mohamed Merah n'est pas pour autant étranger à notre société. La mention insistante de certains médias de son "origine algérienne" est une manière, plus ou moins consciente, de considérer que le danger est exogène. Or le tueur, scolarisé dans les écoles de la République, est un Français né en France. Il convient donc de mener une réflexion relative à la cohésion nationale et aux moyens d'éviter -dans la mesure du possible- ces actes démentiels, au-delà des questions ayant trait aux services du renseignement.

Tout en mettant en avant la dimension personnelle, familiale, ou psychologique, certains chercheurs ont évoqué le parcours social du tueur, notamment son vécu dans un "quartier défavorisé". Bien que le lien de causalité ne semble pas pertinent -vivre dans un quartier, si défavorisé soit-il, ne peut expliquer de tels gestes- l'accumulation d'actes de délinquance est symptomatique du parcours de certains jeunes à la marge de la société. La vie de Mohamed Merah, avant son attirance au fanatisme, est représentative de celles de certains jeunes "des quartiers" tombés dans la délinquance dès leur enfance.

L'escalade de la délinquance, conséquence d'un déficit d'autorité étatique

Jets de cailloux sur un autobus à 16 ans, outrages, vols à l'arraché, avec violence... la liste des actes de petite délinquance de Mohamed Merah est édifiante. Le passage à l'acte meurtrier semble, dans son cas, être l'épilogue d'une longue litanie de déviance. Si tel est le cas, l'autorité politique doit s'interroger sur la façon de prévenir ce type d'escalade. Cet enchaînement illustre de façon tragique que c'est dès le premier acte que la société doit réagir. L'absence de réponse forte rend difficile la possibilité d'éviter la récidive. En effet, lorsque les forces de l'ordre parviennent à identifier l'auteur d'un délit, le système judiciaire français met trop de temps avant de prononcer une condamnation. Le premier acte délictueux ne donne ainsi généralement pas lieu à une véritable "punition".

S'opère alors une escalade dans la délinquance : le manque de repère de ces jeunes et la perception d'un déficit de l'autorité étatique les pousse à réitérer, à défier davantage société et institutions. Conscients de cet état de fait, bon nombre de juges considèrent cependant ne pas avoir d'autres choix que d'éviter la prison à tout prix. Si l'absence de condamnation a de fortes chances d'encourager les délinquants à continuer dans leur voie, la prison ferme en a encore davantage de les radicaliser.

La nécessaire réforme de la chaîne judiciaire

Ecole du crime ou du fanatisme, la prison en France ne constitue pas un instrument permettant la réinsertion des délinquants. Dernier maillon de la chaîne judiciaire, elle ferme la porte à toute réinsertion. Il semble donc nécessaire de réformer en profondeur cette chaîne, de la répression à la réinsertion.

Tout d'abord, l'exigence d'une condamnation ferme dès le premier acte de délinquance doit être reconnue. Un jeune délinquant évolue rapidement dans le bon comme dans le mauvais sens : l'objectif n'est pas lui barrer la route mais au contraire de s'efforcer de le corriger. Parallèlement, l'univers carcéral doit nécessairement devenir plus humain, ce qui impose la construction de nouvelles places de prison. Afin d'éviter l'endoctrinement et l'apprentissage criminel, il est de plus indispensable de séparer davantage les détenus en fonction de leur profil et d'organiser un suivi des plus fragiles suite à l'incarcération.

Par ailleurs, chaque détenu -particulièrement les jeunes- doit systématiquement suivre une formation scolaire en fonction de son niveau, notamment dans les centres éducatifs fermés à multiplier. Dans les prisons ou à l'extérieur, la cohésion nationale se construit chaque jour à travers une politique d'éducation volontariste et exigeante prenant en charge chaque jeune qui décroche.

Si rien ne peut expliquer et encore moins justifier les actes de Mohamed Merah, une réflexion plus profonde sur la nécessité d'enrayer l'escalade de la délinquance de certains jeunes à la marge de la société est opportune. Fort heureusement, rares sont les délinquants qui suivent ce cheminement. Néanmoins, ce drame nous rappelle la nécessité de traiter les carences de nos institutions pour le bien de tous.

Tarik Yildiz, chercheur et essayiste