Une nouvelle fois, la France est touchée en son cœur. Vendredi 13 novembre 2015, le sang de la centaine de victimes tombées à Paris et à Saint-Denis a marqué à jamais notre mémoire collective. Les Français sont touchés parce qu'ils "sont"; et pour ce qu'ils sont par des individus qui ont déclaré une guerre féroce au pays depuis plusieurs années. Afin d'être en mesure de défendre sa la civilisation, notre société doit s'interroger sur les causes qui ont pu favoriser un tel drame.

__Une dimension idéologique __ Tout d'abord, il s'agit de comprendre la dimension idéologique de cette guerre. Des hommes et des femmes se revendiquent d'une idéologie radicale issue d'une certaine interprétation de l'islam sunnite. Ces derniers sont dans une logique de confrontation : ils souhaitent imposer leurs croyances et massacrer ceux qui ne s'y conforment pas. Cette idéologie prospère depuis des années : en Syrie, en Irak ou au Liban avec des traductions violentes quotidiennes, mais aussi dans les pays du Golfe. Elle prospère également en France : bien que minoritaire, cette idéologie a gagné du terrain au fil des années.

Comment répondre à ce développement ? Tentation de nombreux intellectuels et de responsables politiques, la participation à des débats théologiques n'est pas une solution. Le rôle de l'Etat, de surcroît laïc, n'est pas d'interpréter des textes religieux, de favoriser une certaine exégèse du Coran, de créer un "islam à la française" pour contrer cette idéologie. En contradiction avec une certaine tradition française et inefficace, investir le champ de l'interprétation religieuse serait contreproductif, les plus radicaux vivants à la marge de la société et refusant toute institution, particulièrement si elle est liée à l'Etat.

Détenant le monopole de la violence légitime, l'Etat doit plutôt réaffirmer ses règles et imposer un cadre strict qu'il n'est pas possible de dépasser. Il doit faire respecter ses lois qui traduisent des valeurs partagés par la société, sans compromis et avec vigueur. Au lieu d'affirmer que l'islam n'oblige pas au port du voile ou de demander une prise de position du conseil français du culte musulman (qui n'est absolument pas légitime pour les courants radicaux), l'Etat doit ainsi se contenter d'édicter des règles et de les faire appliquer avec force, sans s'occuper de la discussion théologique.

__Répondre à la (petite) délinquance __ Cette réaffirmation de l'autorité de l'Etat doit également s'attaquer à la petite délinquance, par laquelle bon nombre de djihadistes sont passés avant de passer à l'acte. En effet, si le passage de la petite délinquance au djihadisme n'est évidemment pas automatique, il est régulièrement constaté. A l'instar de Mohamed Merah, nous apprenons qu'un des assaillants du Bataclan Omar Ismaïl Mostefaï a été condamné 8 fois entre 2004 et 2010 sans jamais être allé en prison.

Ce profil n'est pas isolé parmi les djihadistes ou leurs soutiens : nés en France, enfants des banlieues, ils ont souvent connu la petite délinquance: vols, agressions, petits trafics... Certains d'entre eux ont séjourné en prison après la réitération de nombreux délits. D'autres n'ont jamais été inquiétés par la justice, mais tous ont un point commun : leur pratique religieuse a fortement évolué en l'espace de quelques mois. Superficiellement religieux pendant leur parcours délinquant, ces jeunes se sont radicalisés et ont adopté une autre vision de l'islam sunnite : ils abandonnent la petite délinquance pour se consacrer à cette "nouvelle" religion radicale qui séduit des jeunes en manque de repères et d'autorité, désireux, consciemment ou inconsciemment, de tester les limites de la société.

S'il n'y a pas de solution miracle, il paraît certain qu'une prise en charge forte (répression mais aussi suivi rapproché avec des mesures éducatives obligatoires) dès le premier acte de délinquance permettrait de briser cet engrenage, de démontrer la puissance de l'Etat aujourd'hui méprisé pour sa faiblesse par ces jeunes. Dans le cas contraire, il semble inéluctable que d'autres idéologies continueront à combler le vide créé par une certaine mollesse française.

La réponse sécuritaire (renforcement des moyens policiers, du renseignement, de la politique de prévention) et la réorientation de la politique étrangère en fonction des intérêts nationaux paraissent aussi indispensables que la réaffirmation de l'autorité de l'Etat, en particulier concernant la petite délinquance qui constitue un terreau favorable au développement du radicalisme.

Tarik Yildiz, sociologue, notamment auteur de Le racisme anti-blanc et président de l'Institut de recherche sur les populations et pays arabo-musulmans (IRPAM, www.irpam.fr)