L'occasion d'expliquer ma démarche sur le racisme anti-blanc et d'analyser ce concept. Publié dans contreligne en septembre 2012

Attisant les passions et alimentant les polémiques, le concept de « racisme anti-blanc », désignant une intolérance visant les « Blancs » ou les « Français de souche »1, est l’objet de nombreuses controverses. Pour certains, cette expression ne recouvre aucune réalité. Elle procèderait d’une stratégie de retournement que pratiqueraient les mouvements d’extrême droite afin de dissimuler leur racisme bien réel2.

L’extrême-droite n’est pourtant pas la seule à avoir utilisé cette expression. En effet, en 2005 suite aux violences observées lors des manifestations lycéennes, des personnalités d’un tout autre bord avaient lancé un « appel contre les ratonnades anti-Blancs ». Cette initiative, notamment soutenue par Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Bernard Kouchner, Pierre-André Taguieff, Ghaleb Bencheikh et Elie Chouraqui, avait à l’époque été critiquée par de nombreuses personnalités et diverses associations antiracistes.

La dernière controverse impliquant le MRAP

Dernièrement, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), dans son texte de projet d’orientation 20123, a évoqué le racisme anti-blanc comme l’une des composantes du racisme. Alors que pendant longtemps, et pour certaines encore jusqu’à aujourd’hui, les associations antiracistes ont fermement refusé d’évoquer le racisme anti-blanc, cette mention a provoqué de vives réactions.

La plus médiatique est celle des universitaires et des militants qui ont condamné le MRAP dans une tribune publiée le 15 juin dernier sur le site rue894. Plusieurs arguments sont mis en avant afin de justifier cette prise de position. Tout d’abord, cette expression a été portée par l’extrême-droite et à ce titre, l’utiliser serait donner du crédit aux mouvements politiques s’y rattachant. Selon la tribune en cause, « L’emploi de manière a-critique d’une telle notion, comme si elle allait de soi, soulève en effet nombre de problèmes. Sans en faire la généalogie, comment toutefois ne pas tenir compte des conditions dans lesquelles elle est apparue en France dans le lexique politique, portée par les mêmes personnalités qui n’ont eu de cesse depuis quelques années de stigmatiser l’immigration et les populations des quartiers populaires ? »5. De plus, selon l’expression d’Houria Bouteldja, « oppresseurs et opprimés ne se valent pas »6, sous-entendu que les Français de souche constitueraient la première catégorie, les oppresseurs, et les autres populations de la société formeraient la seconde, les opprimés.

Ainsi, il ne serait pas possible de mettre sur le même plan « ceux qui bénéficient de la discrimination », les Français de souche, et les autres, qui sont discriminés à l’embauche, au logement, face à la police et à la justice… Les signataires du texte condamnant le MRAP évoque Albert Memmi : « Faut-il donc rappeler, avec Albert Memmi ce que celui-ci expliquait il y a déjà un demi-siècle : aucun lien ne peut être établi entre le racisme du dominant, reflétant et s’appuyant sur la puissance des dispositifs de domination, et ce qu’il désignait par « racisme édenté », c’est-à-dire cette forme de « racisme » du dominé, sans force, sans pouvoir, incapable de n’être autre chose que des mots, et dont on pourrait se demander en conséquence s’il mérite même d’être considéré comme un racisme ? »7 Albert Memmi est ici utilisé comme une sorte de référence incontestable, une autorité canonique en matière de racisme, sans considération de l’époque très particulière qui a été la sienne.

Une bataille théorique malvenue

La critique du racisme anti-blanc, comme concept, procède d’arguments très discutables. Tout d’abord, quand bien même l’extrême-droite instrumentaliserait ce thème, sa réalité est une question de fait, réelle et préoccupante. S’interdire de débattre de ce sujet pour ce seul motif, quitte à redéfinir les termes de la discussion, n’est-ce pas se dissimuler la réalité, et laisser penser que le phénomène, si phénomène il y a, est escamoté du débat public ? Or c’est précisément ce que prétend une partie de l’opinion, qui n’est pas nécessairement gagnée par les idées d’extrême-droite. S’il faut donner une réponse à ce qui agite cette partie de l’opinion, et que certains ont nommé une “panique identitaire”, mieux vaut un débat rationnel plutôt qu’une invocation des théoriciens du racisme en contexte colonial – et ce serait d’ailleurs plus respectueux d’Albert Memmi, esprit profond et nuancé.

En outre, diviser la société en deux groupes antagonistes de type marxiste, avec d’une part les oppresseurs (dominants) et de l’autre les oppressés (dominés), paraît caricatural, et ne rend pas compte de la complexité des composants et des rapports humains. Comment peut-on considérer que les familles modestes, françaises de souche et vivant dans les quartiers défavorisés, font partie du camp des “oppresseurs” ou du groupe des “dominants” ? L’utilisation des textes d’Albert Memmi ne semble pas opportune dans ce débat, étant donné l’impossibilité d’assigner un camp à chacun de ces groupes.

Plus problématique que cet aspect caricatural est probablement le risque d’une ethnicisation des problèmes aux conséquences dangereuses. En effet, le « camp » des individus est, pour ceux qui critiquent le concept de racisme anti-blanc, déterminé par l’appartenance ethnique, et non en fonction de critères économiques ou sociaux. Lorsque les enfants de ces familles subissent brimades et humiliations en raison de leur appartenance (réelle ou supposée) à une ethnie, ils sont bien victimes de racisme et le ressentent ainsi. Ces familles ne représentent en rien ceux qui, par exemple, discriminent à l’embauche. La simple couleur de peau ou l’origine ethnique ne créée pas un groupe homogène prétendument solidaire.

Un débat sous-jacent sur la conception de la société

Au-delà des agressions racistes subies, le sentiment de ne pas être écouté, de n’intéresser personne et l’impression d’un “deux poids deux mesures” dans le traitement du racisme est omniprésent dans de nombreuses familles non-issues de l’immigration. Des familles entières fuient ces quartiers qui de ce fait, deviennent de plus en plus homogènes ethniquement. La “diversité”, mot peu employé pour évoquer la présence des Français de souche en minorité dans ces quartiers, n’existe presque plus, et cela rend d’autant plus délicat l’objectif de cohésion sociale. Probablement est-ce ce que le MRAP a voulu combattre en reprenant ce thème pour la première fois.

Ainsi, tout en soulignant que le « racisme anti-blanc » n’est qu’une expression du racisme ordinaire -un racisme parmi les racismes- et en évitant de tomber dans une compétition victimaire, il ne faut pas laisser le thème du « deux poids deux mesures » se développer. Reconnaître le racisme anti-blanc ou anti-Français de souche ne revient aucunement à nier les autres formes de racisme, bien réelles, mais seulement à désigner une réalité. On admettra que les termes de “racisme anti-blanc” ou “anti-français” ne sont pas des plus heureux, mais les mots n’ont que le sens qu’on leur prête, et tout est affaire de contexte et d’intention.

Au-delà des polémiques anecdotiques relatives à ce concept, la véritable problématique sous-jacente, justifiant la nécessité d’un débat, est celle de la conception de notre société. Les critères ethniques s’imposent de plus en plus dans les discours comme une grille de lecture autorisée tandis que les critères socio-économiques sont relégués au second plan. Une société où l’appartenance supposée à un groupe « ethnique » alimente et détermine les analyses ne pourra se développer qu’en contradiction avec la tradition républicaine française, et ce serait fort malheureux.

Tarik Yildiz

Auteur de l’ouvrage : Le racisme anti-blanc. Ne pas en parler : un déni de réalité, éditions du Puits de Roulle