Lire l'intégralité de la tribune sur le site du journal Le Monde :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/14/la-delinquance-question-sous-jacente-du-debat-sur-l-islam_1488641_3232.html

La délinquance : question sous-jacente du débat sur l'islam de Tarik Yildiz (Le Monde, 14/03/2011)

Le président de la République a annoncé l'organisation d'un débat sur la place de l'islam en France. L'UMP justifie l'utilité de ce débat avançant notamment que certaines pratiques de l'islam posent des problèmes à notre République laïque. Le sujet ne laisse pas indifférent : les réactions ont été nombreuses à droite comme à gauche. Entre ceux qui pensent qu'il représente un danger parce qu'il peut diviser les Français et ceux qui au contraire considèrent qu'il ne faut pas laisser le monopole du sujet au Front national, le clivage est prononcé. L'islam est aujourd'hui un sujet, à tort ou à raison, qui intéresse la classe politique.

Pourtant, l'islam est présent depuis le Moyen-Age en France. De la conquête de l'Hispanie au VIIIe siècle jusqu'à l'installation en France de réfugiés fuyant la Reconquista en Espagne, la présence de musulmans n'est pas nouvelle. Cependant, la crise économique combinée à un nouveau flux migratoire a peu à peu poussé la question de l'islam au cœur des débats. Certains éditorialistes, personnages publiques et responsables politiques, évoquent très régulièrement la question de l'islam en France, aujourd'hui deuxième religion du pays.

Si les arguments de la présidence et du parti majoritaire quant à l'organisation de ce débat sont tout à fait recevables, il est manifeste qu'une autre question est sous-jacente : celle de la délinquance dans la population musulmane. On observe en réalité une sorte de confusion entre la figure du musulman (parfois islamiste) et celle du délinquant. Certaines personnes d'origine musulmane, souvent modestes et habitants des banlieues défavorisées, posent des difficultés. La question est donc moins la place de l'islam que la réponse à apporter à cette délinquance.

DISTINGUER LA CORRÉLATION DE LA CAUSALITÉ

A ce propos, Eric Zemmour a déclaré que la majorité des délinquants étaient Arabes ou Noirs. Même s'il n'existe pas de statistiques ethniques en France, il est vraisemblable, notamment au vu de certaines notes ministérielles, que cette affirmation ne soit pas une contre-vérité. De même, alors que j'ai dernièrement publié un essai sur le racisme anti-Français en banlieue, certains ont mis l'accent sur la corrélation entre la religion musulmane et ce racisme, aussi porté par des individus se réclamant musulmans.

Cependant, il convient de distinguer la corrélation (il se trouve que des délinquants sont musulmans) de la relation de causalité qui n'existe pas : ce n'est pas parce qu'ils sont musulmans que la délinquance ou le racisme sont générés. L'origine du phénomène, dans les deux cas, est sociale. Bien que la présence musulmane a pris une nouvelle ampleur et qu'elle peut effectivement poser des problèmes nouveaux à un pays de tradition non-musulmane, il semble que le débat prioritaire se situe autre part.

DES PROBLÈMES SOCIAUX QUI APPELLENT À DES RÉPONSES SOCIALES

En effet, ces problèmes sur la pratique de l'islam paraissent marginaux. Sans nier que les jeunes habitants de quartiers défavorisées, souvent musulmans, sont sur-représentés dans l'expression de certains problèmes (délinquance, racisme anti-Français), il serait bon de ne pas faire de la question religieuse le sujet central.

Dans ce cadre, plusieurs pistes mériteraient d'être étudiées. Le sentiment de ne pas appartenir à la nation, la délinquance et le racisme "anti-blanc" sont liés à une forme de démission de l'Etat dans sa mission éducative et dans le respect des lois. La qualité des établissements scolaires dans certaines banlieues est médiocre, certains professeurs essayant d'adapter le savoir à leur auditoire. Il arrive qu'on étudie des textes de chansons de rap alors que les élèves des beaux quartiers acquièrent plus facilement une culture plus classique. Les habitants des banlieues pauvres sont donc doublement défavorisées : de par leur condition sociale et le manque de savoir acquis à l'école et qui demeure un moyen privilégié de s'affranchir de sa classe sociale.

Par ailleurs, le volet répressif ne doit pas être négligé. L'État éprouve des difficultés à s'imposer dans certains quartiers. L'exemple du manque de places dans les prisons est significatif : des condamnations ne sont pas appliquées faute de places. Certains juges hésitent à envoyer ces jeunes en prison par peur de l'effet "école du crime". Il serait donc bon d'assurer la sécurité de nos concitoyens, non seulement à travers l'action policière mais aussi grâce à un système judiciaire qui disposerait de davantage de places en prisons, plus humaines et donc plus susceptibles d'encourager la réinsertion.

L'exigence dans le savoir et la fermeté dans le respect des lois pourraient constituer les deux piliers d'une réponse sociale qui mettrait la question de la pratique de l'islam (aux sous-entendus potentiellement lourds de conséquences) au second plan.

Tarik Yildiz est aussi l'auteur de Le racisme anti-blanc (Editions du Puits de Roulle, décembre 2010).